Critiques pour l'événement Le joueur d'échecs
Le 29 septembre 1941, Zweig écrit à son ex-femme: « J’ai commencé une petite nouvelle sur les échecs, inspirée par un manuel que j’ai acheté pour meubler ma solitude, et je rejoue quotidiennement les parties des grands maîtres ». Il est alors au Brésil avec sa seconde femme, celle-ci avec qui il va se suicider le 22 février 1942. Le joueur d’échecs sera sa dernière nouvelle. Elle ne sera publiée qu’après sa mort.
Comme souvent dans les nouvelles de Zweig, partisan de l’entuilage des récits, un narrateur est mis en scène. Ce narrateur, qui représente manifestement Zweig, assiste lors d’un voyage à la rencontre de deux destins. Au récit de cette rencontre, le narrateur ajoute deux récits essentiels à la compréhension de l’histoire.
Tout d’abord, la vie de Czentovic : orphelin élevé par le curé du village, le jeune garçon est taciturne, apathique et ne parvient pas à apprendre ce qu’on lui enseigne. Lent et mou, il est aussi incroyablement discipliné. Un soir, on lui propose, pour le moquer, d’achever une partie d’échecs. Il accepte et, surprise, bat son adversaire. On décide alors de le présenter à d’autres joueurs. Le prodige finit par battre la plupart d’entre eux. On l’envoie à Vienne étudier les échecs et c’est ainsi qu’à vingt-et-un ans, il est champion du monde. Le narrateur, joué par Philippe Houillez, parvient à nous dévoiler avec application et tendresse un Czentovic fascisant en même temps qu’inquiétant. Il a l’humeur peu ouvert aux autres et au réel, apparemment froid, distant, replié sur lui même, préférant l’analyse, la dialectique ou l’observation à l’action. Il a une sensibilité tenue secrète et cependant très vive. C’est le tableau clinique de la schizothymie.
Ensuite, le narrateur nous conte Monsieur B, l’inconnu. Notaire en Autriche, il dissimula longtemps de fortes sommes aux nazis et finit par se faire attraper. Il est emprisonné, mais d’une manière particulière : il sera logé dans une chambre d’un hôtel de luxe sans aucun contact avec le monde extérieur. Il reste ainsi plusieurs jours, y subit les interrogatoires de la Gestapo. Au fur et à mesure qu’il passe du temps isolé dans sa chambre, ses réponses se font moins prudentes, il perd le contrôle de lui-même, car son esprit « tourne à vide ». Un jour, alors qu’il attend son interrogatoire dans une antichambre, il aperçoit, dans une veste pendue à une patère, un livre. Il s’en empare espérant enfin vaincre par la lecture la solitude et la folie qui le guette. Il découvre déçu que c’est une méthode d’échec. Sans échiquier ni pièces, il parvient toutefois à mentaliser les parties, peu à peu à se familiariser avec les finesses du jeu. Apaisé, et son esprit occupé à l’apprentissage des échecs, les interrogatoires se passent mieux. Cependant, après quelques mois, l’attrait des 150 parties du livre disparaît puisqu’il les connaît toutes et il doit donc essayer autre chose : jouer des parties contre lui-même, avec comme principale difficulté de parvenir à faire abstraction des tactiques envisagées de part et d’autre de son échiquier virtuel. Il s’entraîne à plonger dans une sorte de clivage. Il y parvient en effet, mais au bout de peu de temps, l’expérience tourne mal, son esprit dédoublé « perd pied ». Il ne parvient plus à se penser. Il perd connaissance. Il se réveille dans un hôpital. Un docteur, compatissant, parvient à le faire libérer, le faisant passer pour fou, et donc sans intérêt pour les nazis. Il lui recommande malgré tout de ne plus rejouer aux échecs. Encore une fois, Philippe Houillez, réussit le pari de nous faire partager sa curiosité pour Monsieur B dont l’humeur présente un repli sur soi, des difficultés à partager une interprétation du réel avec les autres, et un clivage psychotique du moi. Houillez parvient à nous fait sentir le trouble de la personnalité de Mr B., un trouble de type dissociatif, résultat d’une expérience traumatique et d’un isolement délétère.
L’intrigue: À bord du navire, les deux destins doivent se rencontrer. Le narrateur, qui, par curiosité, disputerait bien une partie contre l’illustre maître Czentovic, attire peu à peu des amateurs autour d’un échiquier. Czentovic accepte, contre rétribution de participer. Il bat bien sûr ses modestes adversaires. Mais au cours d’une partie, monsieur B. se porte au secours de ceux qui aimeraient briser la froide arrogance du champion. Il obtient le match nul. Pourtant, maladroit et honteux de s’être immiscé au sein de la partie, il se retire, laissant un public dubitatif, mais dont la curiosité est attisée. M. B. est sollicité pour affronter l’arrogant Czentovic. Une première partie et ce dernier capitule afin de ne pas se montrer complètement vaincu. Malgré l’avertissement du médecin, Monsieur B ne peut résister à la tentation d’une deuxième partie et là, il « perd pied » à nouveau : Czentovic, qui a compris que sa lenteur exaspère son rival le déséquilibre. Au bout de quelque temps, M. B semble perdre le fil du jeu : sans doute a-t-il eu trop de temps pour anticiper. Pendant les interminables coups de Czentovic, il décroche, il semble avoir en tête une partie différente de celle qu’il joue.
Pressé par le narrateur, il se retire encore une fois piteux et confus.
-Dommage, dit Czentovic, magnanime. L’offensive n’allait pas si mal. Pour un dilettante, ce monsieur est en fait remarquablement doué.
On participe presque, grâce au jeu de Joseph Morana à la chute de Monsieur B. Ayant perdu la relation avec le monde extérieur dans un versant schizophrène, il met en jeu aussi sa relation à son propre corps, un corps comme un élément étrange ou étranger. Lacan écrivait- on a un corps on n’en est pas un. Le talent de Joseph Morana nous donne à voir, sans cabotinage, ce corps de l’avoir et non de l’être. Seul le théâtre permet cet insight. Bien sûr, Monsieur B n’est pas un dilettante. Il est doué car clivé, et ceci travaille son esprit et son corps. Là où Czentovic, dans un aménagement d’économie psychique s’est retiré sur lui-même pour nourrir son talent, Mr B expérimente le dédoublement. C’est Czentovic le dilettante et dans sa trace, Zweig qui s’est expatrié pour préserver son talent. Ou peut être, que Zweig, viennois émigré au brésil est Mr B et que le choix d’un clivage douloureux le mènera au suicide.
En conclusion, excellente interprétation à ne surtout pas rater, d'abord au titre du plaisir du bon théâtre, (et le bon theatre est indispensable!) ensuite pour compléter ou préparer le Joueur d’Échecs de F Huster, si différent, et en même temps si proche. Chez F. Huster, le versant pathologique est moins marqué, cependant que le suicide de Zweig est donné à voir, il est inclus dans la mise en scène.
Comme souvent dans les nouvelles de Zweig, partisan de l’entuilage des récits, un narrateur est mis en scène. Ce narrateur, qui représente manifestement Zweig, assiste lors d’un voyage à la rencontre de deux destins. Au récit de cette rencontre, le narrateur ajoute deux récits essentiels à la compréhension de l’histoire.
Tout d’abord, la vie de Czentovic : orphelin élevé par le curé du village, le jeune garçon est taciturne, apathique et ne parvient pas à apprendre ce qu’on lui enseigne. Lent et mou, il est aussi incroyablement discipliné. Un soir, on lui propose, pour le moquer, d’achever une partie d’échecs. Il accepte et, surprise, bat son adversaire. On décide alors de le présenter à d’autres joueurs. Le prodige finit par battre la plupart d’entre eux. On l’envoie à Vienne étudier les échecs et c’est ainsi qu’à vingt-et-un ans, il est champion du monde. Le narrateur, joué par Philippe Houillez, parvient à nous dévoiler avec application et tendresse un Czentovic fascisant en même temps qu’inquiétant. Il a l’humeur peu ouvert aux autres et au réel, apparemment froid, distant, replié sur lui même, préférant l’analyse, la dialectique ou l’observation à l’action. Il a une sensibilité tenue secrète et cependant très vive. C’est le tableau clinique de la schizothymie.
Ensuite, le narrateur nous conte Monsieur B, l’inconnu. Notaire en Autriche, il dissimula longtemps de fortes sommes aux nazis et finit par se faire attraper. Il est emprisonné, mais d’une manière particulière : il sera logé dans une chambre d’un hôtel de luxe sans aucun contact avec le monde extérieur. Il reste ainsi plusieurs jours, y subit les interrogatoires de la Gestapo. Au fur et à mesure qu’il passe du temps isolé dans sa chambre, ses réponses se font moins prudentes, il perd le contrôle de lui-même, car son esprit « tourne à vide ». Un jour, alors qu’il attend son interrogatoire dans une antichambre, il aperçoit, dans une veste pendue à une patère, un livre. Il s’en empare espérant enfin vaincre par la lecture la solitude et la folie qui le guette. Il découvre déçu que c’est une méthode d’échec. Sans échiquier ni pièces, il parvient toutefois à mentaliser les parties, peu à peu à se familiariser avec les finesses du jeu. Apaisé, et son esprit occupé à l’apprentissage des échecs, les interrogatoires se passent mieux. Cependant, après quelques mois, l’attrait des 150 parties du livre disparaît puisqu’il les connaît toutes et il doit donc essayer autre chose : jouer des parties contre lui-même, avec comme principale difficulté de parvenir à faire abstraction des tactiques envisagées de part et d’autre de son échiquier virtuel. Il s’entraîne à plonger dans une sorte de clivage. Il y parvient en effet, mais au bout de peu de temps, l’expérience tourne mal, son esprit dédoublé « perd pied ». Il ne parvient plus à se penser. Il perd connaissance. Il se réveille dans un hôpital. Un docteur, compatissant, parvient à le faire libérer, le faisant passer pour fou, et donc sans intérêt pour les nazis. Il lui recommande malgré tout de ne plus rejouer aux échecs. Encore une fois, Philippe Houillez, réussit le pari de nous faire partager sa curiosité pour Monsieur B dont l’humeur présente un repli sur soi, des difficultés à partager une interprétation du réel avec les autres, et un clivage psychotique du moi. Houillez parvient à nous fait sentir le trouble de la personnalité de Mr B., un trouble de type dissociatif, résultat d’une expérience traumatique et d’un isolement délétère.
L’intrigue: À bord du navire, les deux destins doivent se rencontrer. Le narrateur, qui, par curiosité, disputerait bien une partie contre l’illustre maître Czentovic, attire peu à peu des amateurs autour d’un échiquier. Czentovic accepte, contre rétribution de participer. Il bat bien sûr ses modestes adversaires. Mais au cours d’une partie, monsieur B. se porte au secours de ceux qui aimeraient briser la froide arrogance du champion. Il obtient le match nul. Pourtant, maladroit et honteux de s’être immiscé au sein de la partie, il se retire, laissant un public dubitatif, mais dont la curiosité est attisée. M. B. est sollicité pour affronter l’arrogant Czentovic. Une première partie et ce dernier capitule afin de ne pas se montrer complètement vaincu. Malgré l’avertissement du médecin, Monsieur B ne peut résister à la tentation d’une deuxième partie et là, il « perd pied » à nouveau : Czentovic, qui a compris que sa lenteur exaspère son rival le déséquilibre. Au bout de quelque temps, M. B semble perdre le fil du jeu : sans doute a-t-il eu trop de temps pour anticiper. Pendant les interminables coups de Czentovic, il décroche, il semble avoir en tête une partie différente de celle qu’il joue.
Pressé par le narrateur, il se retire encore une fois piteux et confus.
-Dommage, dit Czentovic, magnanime. L’offensive n’allait pas si mal. Pour un dilettante, ce monsieur est en fait remarquablement doué.
On participe presque, grâce au jeu de Joseph Morana à la chute de Monsieur B. Ayant perdu la relation avec le monde extérieur dans un versant schizophrène, il met en jeu aussi sa relation à son propre corps, un corps comme un élément étrange ou étranger. Lacan écrivait- on a un corps on n’en est pas un. Le talent de Joseph Morana nous donne à voir, sans cabotinage, ce corps de l’avoir et non de l’être. Seul le théâtre permet cet insight. Bien sûr, Monsieur B n’est pas un dilettante. Il est doué car clivé, et ceci travaille son esprit et son corps. Là où Czentovic, dans un aménagement d’économie psychique s’est retiré sur lui-même pour nourrir son talent, Mr B expérimente le dédoublement. C’est Czentovic le dilettante et dans sa trace, Zweig qui s’est expatrié pour préserver son talent. Ou peut être, que Zweig, viennois émigré au brésil est Mr B et que le choix d’un clivage douloureux le mènera au suicide.
En conclusion, excellente interprétation à ne surtout pas rater, d'abord au titre du plaisir du bon théâtre, (et le bon theatre est indispensable!) ensuite pour compléter ou préparer le Joueur d’Échecs de F Huster, si différent, et en même temps si proche. Chez F. Huster, le versant pathologique est moins marqué, cependant que le suicide de Zweig est donné à voir, il est inclus dans la mise en scène.
Mémorablement intense et magique !! 10/10
C'est par erreur que je me suis retrouvée dimanche soir dans ce petit théâtre du Marais car en fait je voulais voir initialement le "Joueur d'échecs" avec Francis Huster et que la séance ne se jouait pas le dimanche.
Je connais bien l'auteur pour avoir lu presque toutes ses nouvelles y compris le "Joueur d'échecs" et j'étais très intriguée à l'idée de découvrir comment la mise en scène avait pu transformer ce petit chef d'oeuvre de la littérature en un spectacle vivant.
Dire que j'étais emportée est tellement si peu adapté au ressenti que je n'ai eu de cesse d'avoir durant toute la durée du spectacle que je ne comprends pas encore pourquoi il y avait si peu de spectateurs pour ces quatre talentueux comédiens que j'ai vu sur scène certes un dimanche soir mais pas à un horaire si tardif.
Tout est extraordinaire dans cette adaptation y compris la fidélité au texte que je n'ai eu aucune peine à suivre tellement les mots prononcés par une diction d'une rare fluidité me revenaient tel un enchantement sans pareil. Tous les personnages sont magnifiquement interprétés et la scénographie sobre et sans fioriture nous entraîne là où il faut quand il le faut mettant en valeur la force envoûtante du texte si remarquablement écrit à une époque où l'auteur devait être déjà dans d'incroyables souffrances avant sa disparition si tragique.
Un spectacle si émouvant que j'entends encore résonner en moi la voix si enveloppante du narrateur ainsi que celle de Monsieur B si particulière et modulée par sa folie que j'imagine que l'auteur se trouvant dans la salle ce soir- là aurait pu en être emporté tout autant.
Que dire de plus que je reviendrai dans ce petit théâtre voir une autre nouvelle de Zweig (24 heures de la vie d'une femme) et que je conseille à tous les amoureux du théâtre de penser à donner aussi leur obole au lieu moins connu mais tellement surprenant de qualité et de convivialité.
Courez les voir et ainsi ils vous verront car en plus ils discutent avec les spectateurs à la fin de la représentation prolongeant quelque peu la magie d'une si belle soirée.
Enfin, je leur donne 10 mais ils valent une note bien meilleure car ils sont vrais, beaux, énormes, et d'une présence presque irréelle.
C'est par erreur que je me suis retrouvée dimanche soir dans ce petit théâtre du Marais car en fait je voulais voir initialement le "Joueur d'échecs" avec Francis Huster et que la séance ne se jouait pas le dimanche.
Je connais bien l'auteur pour avoir lu presque toutes ses nouvelles y compris le "Joueur d'échecs" et j'étais très intriguée à l'idée de découvrir comment la mise en scène avait pu transformer ce petit chef d'oeuvre de la littérature en un spectacle vivant.
Dire que j'étais emportée est tellement si peu adapté au ressenti que je n'ai eu de cesse d'avoir durant toute la durée du spectacle que je ne comprends pas encore pourquoi il y avait si peu de spectateurs pour ces quatre talentueux comédiens que j'ai vu sur scène certes un dimanche soir mais pas à un horaire si tardif.
Tout est extraordinaire dans cette adaptation y compris la fidélité au texte que je n'ai eu aucune peine à suivre tellement les mots prononcés par une diction d'une rare fluidité me revenaient tel un enchantement sans pareil. Tous les personnages sont magnifiquement interprétés et la scénographie sobre et sans fioriture nous entraîne là où il faut quand il le faut mettant en valeur la force envoûtante du texte si remarquablement écrit à une époque où l'auteur devait être déjà dans d'incroyables souffrances avant sa disparition si tragique.
Un spectacle si émouvant que j'entends encore résonner en moi la voix si enveloppante du narrateur ainsi que celle de Monsieur B si particulière et modulée par sa folie que j'imagine que l'auteur se trouvant dans la salle ce soir- là aurait pu en être emporté tout autant.
Que dire de plus que je reviendrai dans ce petit théâtre voir une autre nouvelle de Zweig (24 heures de la vie d'une femme) et que je conseille à tous les amoureux du théâtre de penser à donner aussi leur obole au lieu moins connu mais tellement surprenant de qualité et de convivialité.
Courez les voir et ainsi ils vous verront car en plus ils discutent avec les spectateurs à la fin de la représentation prolongeant quelque peu la magie d'une si belle soirée.
Enfin, je leur donne 10 mais ils valent une note bien meilleure car ils sont vrais, beaux, énormes, et d'une présence presque irréelle.
Les avis de la rédaction