Critiques pour l'événement Le jeu des ombres
2 févr. 2022
9,5/10
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Valère Novarina, dans ce « Jeu des Ombres » nous fait revivre le mythe d’Orphée qui va chercher Eurydice aux Enfers. Dans cette pièce, comme dans les précédentes, on retrouve la jubilation de Valère Novarina à prendre la parole, à la créer, à l’inventer et à revenir sur la chair, les orifices, le trou, les pierres, les cailloux et … Dieu ! Charivari, chaos, sens d’ssus-d’ssous.

Certes « nous sommes des animaux qui ne s’attendaient pas à avoir la parole » comme le dit si bien la dernière page de couverture du texte édité chez P.O.L., mais, pourtant, dans le Jeu des Ombres, Orphée va plus loin en se dispersant dans les Enfers. Que va t-il y gagner ? Que va t-il y perdre ? Il y perd Eurydice en se retournant pour la regarder. Il y gagne à être contraint de rester un Animal Parlant, à n’exister que par sa voix, son chant, sa poésie. Chant / Sang qui irrigue la chair, le corps. « Allez annoncer partout que l’Homme n’a pas été capturé » nous dit Valère Novarina en final. Cet Animal Parlant fait émerger l’Homme-sujet, celui qui peut transformer le monde. Dans sa mise en scène, Jean Bellorini s’empare dans un corps à corps tiré au cordeau, de tous les spectres de la musique. L’Orfeo de Monterverdi, œuvre entièrement chantée, signe le premier opéra et l’individuation des personnages. Cet Orfeo dialogue avec des ritournelles, du jazz, des chants de cabaret berlinois ou bien … simple violoncelle, piano ou euphonium … Aux Enfers, errent aussi les ombres d’un univers musical à ressusciter : carcasses de pianos cassés, retournés, entrechoqués, bousculés et miraculeusement ranimés dans une valse chaotique surprenante. D’autres effets scéniques nous attendent. Je retiendrai les farces tragiques du duo que j’appellerai Dupond et Pondu, la trappe d’où émerge un personnage des « en-dessous », lampe frontale vissée sur sa tête, deux femmes rangées à l’horizontale dans u piano droit, une basse d’outre-tombe, la rampe de feu, les visages grillagés des comédiens, et enfin, le monologue délirant sur Dieu ( anagramme de VIDE à la latine), grand moment d’inventaire . Et puis la fin avec un autre inventaire sur les noms d’oiseaux clos par le clap final du livre des Métamorphoses d’Ovide. Les acteurs débordant d’enthousiasme et de prouesse, servent magnifiquement la cause de Valère Novarina. Une attention particulière pour Anke Engelsmann à la silhouette dégingandée, qui m’a déchiré le coeur par son jeu expressionniste remarquable. Initialement prévue pour la Cour d’Honneur du Palais des Papes en 2020, ce spectacle qui a reçu deux prix du syndicat Professionnel de la critique de théâtre , sera en tournée à Clermont-Ferrand, Aix en Provence, Sceaux, Angers, la Criée à Marseille, Massy, Anglet jusqu'au 11 mai 2022. N’hésitez pas. Je recommande avec grand enthousiasme ce spectacle déjanté.