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- Paris 5ème
Vies de Papier
Voici un spectacle né du hasard. Un jour de brocante, à Bruxelles, Benoit Faivre et Tommy Laszlo tombent nez-à-nez avec un étrange document : un album de photos de famille superbement décoré, en excellent état.
Les clichés reflètent les souvenirs d’une femme née en 1933 en Allemagne, de son enfance jusqu’à son mariage en Belgique.
Qui est cette personne prénommée Christa ? Pourquoi nos deux artistes se sentent-ils aussitôt liés intimement à l’album ? En quoi le destin de cette immigrée leur rappelle-t-il la trajectoire de leur grand-mère à chacun ? C’est le début d’une vaste enquête.
Traversant l’Europe, Benoit et Tommy interrogent des spécialistes de la Seconde Guerre mondiale, des généalogistes, leur propre famille. Les voilà devant nous, sur scène, pour restituer les étapes de cette investigation au long cours. Ils jouent leur propre rôle et manipulent les images de cet album, des vidéos et des cartes géographiques.
Surgissent des relations étroites et de surprenantes coïncidences. Peu à peu, apparaît, en pointillés, le portrait d’une inconnue et celui d’une Europe encore balafrée des cicatrices du dernier conflit mondial.
Vies de papier rend visible les liens inextricables entre l’histoire intime et l’histoire avec « sa grande Hache » comme disait l’écrivain Georges Perec. Dans ce spectacle, Benoit Faivre et Tommy Laszlo interrogent le processus qui transforme le passé en souvenir : que choisit-on de voir, de garder, d’assumer ou de fuir ?
Car comme l’ont souligné les artistes lors du bord plateau après le spectacle, ils auraient très bien pu se contenter d’aller au bureau des archives de Bruxelles pour trouver qui était la mystérieuse Christa. Or, comme souvent, c’est moins le résultat que le moyen d’y parvenir qui est le plus intéressant. C’est aussi l’aventure humaine qui prime, suivre l’album, retrouver des lieux, vivre quelque chose d’unique avec des partenaires, rencontrer les gens et voir ce que ça fait à l’intérieur.
Les deux artistes ont décidé de nous montrer leur passionnante enquête à travers un film documentaire, mais également un montage collage fait en direct (plans, dessins, photos, notes…), mais aussi leur témoignage. Certes il y a le passé (tout débute en Allemagne dans les années 30…), mais il y a surtout le présent, parce qu’on ne travaille pas sur le papier sans raison, parce qu’on ne part pas à la recherche de quelqu’un qu’on ne connait ni d’Eve ni d’Adam, sans qu’il y ait autre chose, en eux. Et cette autre chose va évoquer par ricochet quelque chose en nous, comme pour eux, des souvenirs, des non dits. Pour aller dans les clichés, comme on nous dit en cours d’histoire, c’est en comprenant le passé qu’on comprend notre présent.
Là où j’aurais pu trouver cela redondant (j’avais énormément apprécié ce qu’avait fait Isabelle Monnin dans « Les gens dans l’enveloppe » (livre/disque/bientôt film), à partir du même point de départ (l’achat d’un album photo ayant appartenu à des personnes inconnues), je fus captivé et touché par la sincérité et l’inventivité de Benoit Faivre et Tommy Laszlo.