Ballet d’ATdK

Ballet d’ATdK
De Bartók , Beethoven , Schönberg
Mis en scène par Anne Teresa De Keersmaeker
  • Opéra Garnier
  • 8, rue Scribe
  • 75009 Paris
  • Opéra (l.3, l.7, l.8, RER A)
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Ce triptyque traverse dix années de création (de 1986 à 1995) et témoigne des singuliers dialogues d’Anne Teresa De Keersmaeker avec les grandes partitions de la musique classique. Sans doute le mot « dialogue » est-il d’ailleurs trop fade pour rendre compte de ce corps-à-corps entre deux arts.


De Keersmaeker s’adresse à la musique selon toutes les nuances de la passion amoureuse : demande, défi, surenchère. Notion-clé : polyphonie. L’irrésistible énergie que délivrent ces corps fluides et nerveux – tantôt bardés d’insolence, tantôt exténués et comme vaincus par la musique – relève essentiellement d’un « vertige du contrepoint ». Toujours une voix en plus, toujours une diagonale nouvelle, une combinaison imprévue, multipliant les courbes d’une spirale de mouvements où le spectateur se perd, et jubile de se perdre. Le travail sur le Quatuor n°4 de Bartók relève du premier style de De Keersmaeker : une combinatoire de courts motifs, déployés avec un humour sec par un quatuor de jeunes filles à la féminité adolescente. La virtuose chorégraphie de la Grande Fugue de Beethoven, très masculine cette fois et basée sur la figure de la chute, permet de mesurer le mûrissement de la technique compositionnelle de la chorégraphe. Le troisième volet, La Nuit transfigurée, consacré au jeune Schönberg, dévoile enfin sa part la plus secrète : la soirée se ferme dans un déchirant abandon, avec l’évocation quasi narrative d’un couple transfiguré par le don d’amour – à l’image d’une danse possédée par la mélomanie.

Partageant la même intensité musicale, ces trois ballets composent un ensemble à la fois poétique et mystérieux, qui fait aujourd’hui son entrée au repertoire du Ballet de l’Opéra de Paris.

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30 oct. 2015
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46
Pour une fois, un peu de danse et de légèreté dans un planning théâtral très éclectique cette saison.

Lorsque débute la soirée, quatre danseuses habillées de noir se déplacent en silence dans une sorte de carré imaginaire, avec beaucoup de grâce. Derrière elles, un quatuor à cordes s’apprête à faire résonner les premières notes du Quatuor n°4 de Béla Bartók. Malgré un motif de la marche très répété, peu à peu les danseuses font tourner et virevolter leurs jupes évasées, faisant claquer le bruit de leurs bottines plates sur la scène du Palais Garnier, en adéquation permanente avec la musique.

Leur interprétation espiègle et légère, quoi qu’un peu trop stricte, donne une chorégraphie mécanique un peu trop centrale dans l’espace scénique mais où la virtuosité de chacune peut s’exprimer librement sans éclipser les autres. A la limite de la provocation mais avec toute l’insouciance de leur jeunesse, elles effectuent diagonales aux ports de bras parfaits et lignes horizontales expressives. Tantôt quatre tantôt trois plus une soliste, elles se calent sur le rythme de la musique qui s’accélère puis devient saccadée dans un éclairage plus tamisé avant de s’achever en beauté.
Place alors à un court ballet de 18 minutes qui clôturera la première partie de la soirée. Cette création de 1992 autour de l’opus 133 de La Grande Fugue (Die Grosse Fuge) de Ludwig van Beethoven, toujours interprété par le quatuor à cordes, présente une distribution étoilée avec la présence d’Alice Renavand, entourée d’un corps de ballet masculin parmi lequel figurent le charismatique Stéphane Bullion et le séduisant Karl Paquette. Les huit danseurs, habillés en costume noir et chemise blanche enchaînent les diagonales, les courses interrompues et les chutes en cascades. Si les trois Etoiles brillent de mille feux, leur grande virtuosité ne parvient pas à jouer la carte de l’incarnation. Leurs mouvements rapides, fougueux et énergiques ne transmettent pas les émotions attendues.
Cependant, la cohésion du groupe est indéniable et ils utilisent parfaitement l’espace au sol et aérien du plateau, dans une même gestuelle.

Après l’entracte, c’est bel et bien à un spectaculaire et troublant chef d’œuvre que nous assistons avec la version pour orchestre à cordes de la Nuit transfigurée (Verklärte Nacht) d’Arnold Schönberg, une œuvre de jeunesse d’un lyrisme bouleversant. Alors que l’orchestre de l’Opéra de Paris, dirigé par Vello Pähn, a rejoint la fosse pour sublimer la musique du compositeur autrichien et que nos émotions vont crescendo jusqu’à trouver ici l’expression de leur apothéose, le décor d’une forêt matinale, prodigieusement éclairée d’une douce lumière automnale se révèle à nos yeux, dans laquelle vont se vivre de tragiques errances romantiques.

Une véritable gifle visuelle nous attend où les badineries dans les sous-bois sont d’une grande beauté, rappelant sans conteste la puissance des œuvres de Pina Bausch. Pièce la plus aboutie de la soirée, cette Nuit transfigurée, d’une grande sensibilité musicale, est une danse sans concession, habitée et bouleversante, qui transpire d’émotions et de tensions, nous mettant de petites étoiles de mer au coin des yeux. Même si l’œuvre éminemment romantique tend vers le désespoir et le tragique, de manière profonde, poignante et vibrante, tout fait sens ici dans une gestuelle explicite et nous frôlons la perfection visuelle et auditive. Les larmes viennent facilement devant une telle beauté avec les notes de Schönberg pour sublimer le tout. C’est léger comme l’amour et lumineux comme l’espoir.

Les trois pièces présentées ce soir-là comme un triptyque furieusement poétique ont en commun un spectaculaire travail sur le rythme où chaque danseur se présente comme un instrument de musique dans un orchestre : indispensable et en harmonie avec ceux qui l’entourent. Un spectacle au goût exquis : celui de l’émerveillement d’une soirée parfaite et réussie au Palais Garnier grâce au talent sans limite de la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker, récompensée pour l’ensemble de sa carrière par un Lion d’or à la Biennale de Venise en juin dernier.
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Texte
Jeu des acteurs
Emotions
Intérêt intellectuel
Mise en scène et décor