- Théâtre contemporain
- Théâtre national de la Colline
- Paris 20ème
Au Bois

- Raoul Fernandez
- Emilie Incerti Formentini
- Emmanuelle Lafon
- Seb Martel
- Séphora Pondi
- Théâtre national de la Colline
- 15, rue Malte-Brun
- 75020 Paris
- Gambetta (l.3)
Dans cette adaptation très libre, contemporaine et urbaine du Petit Chaperon rouge, Claudine Galea interroge la peur ancestrale du « loup », celle de l’agression.
Entre le conte et le périph’, la légende et le fait divers, Au Bois est une histoire d’insoumission et de liberté où les filles, qu’elles soient mères ou adolescentes, sont avant tout des femmes qui ne s’en laissent plus conter. Ni par les parents, ni par les loups, ni par les bois, ni par les chasseurs, ni par la rumeur, cette vox populi qui affiche sa morale puritaine et qui sournoisement a faim de vengeance et de sang.
En ces temps de repli, de brutalité et d’humiliation, ces temps où l’individu isolé ne semble pas pouvoir grand-chose, Au Bois est une pièce où l’on parle haut, où l’on chante fort, où la jeunesse donne le La, une pièce où l’on ne renonce à rien et surtout pas à aimer. Ici, la friction entre légende et hyperréalisme laisse planer une abstraction poétique et place la parole en apesanteur. L’économie de l’écriture, signe d’une retenue pudique, laisse s’éveiller les sensations et immédiatement filtrer une émotion infinie.
« Au Bois » est une pièce qui ose chanter comme dans les Disney, désorienter le spectateur (je n’ai pas su quoi penser à la sortie du spectacle, passant allègrement de la fascination à la déception). Je ne fus pas convaincu par la vidéo, même si je me rappelai que « La nuit du chasseur » de Charles Laughton, dont on voit des extraits, était un sacré chef d’oeuvre, à voir sur grand écran. On peut y voir également « la rumeur publique » : des acteurs filmés façon grand guignol. Mon intérêt s’étiole.
Le bois n’est pas un bois. Benoît Bradel sait y faire, question atmosphère. Clédat & Petitpierre à la scénographie et à la costumerie n’y sont pas pour rien. Le temps s’étire : la fin n’est pas la fin. Les personnages féminins ne se laissent pas faire et cela ne nous laisse finalement pas indifférent.
Raisonnez au bois, venez belettes !
Voici un conte moderne dans lequel les filles et les femmes ne veulent plus être des victimes, dans lequel elles ne veulent plus être la proie des hommes.
Bien entendu, pour arriver à ce résultat, il va falloir qu'elles se battent, qu'elles luttent contre bien des prédateurs mâles.
Claudine Galea a écrit cette version urbaine, sombre mais lucide du Petit chaperon rouge qui traite de l'émancipation et de l'affirmation de la liberté.
Tous les personnages si connus sont là, le loup, le chasseur, le bois, la mère, la fille.
L'adolescente et sa maman vont former un sacré couple féminin !
Celle des deux qui voudrait bien rencontrer le loup, c'est elle, c'est la mère ! « Et fuck la raison ! »
A quarante ans, on prend le loup qu'on a sous la main, on ne fait pas la difficile.
Le bois sera ici personnifié.
C'est ce bois qui sera le narrateur de l'histoire, parce que c'est dans son sein que les choses vont arriver.
Et puis la « petite sublime » elle, ne connaît pas encore le loup. Elle croisera le chemin d'un très méchant, et par forcément celui à qui l'on pense de prime abord.
J'allais oublier le personnage de la rumeur publique, sorte de choeur plus ou moins malfaisant, flattant les bas instincts de chacun.
Le metteur en scène Benoît Bradel a bien compris le côté organique, viscéral de ce qu'il appelle un « spectacle manifeste ».
Nous allons ressentir pleinement ce bois inquiétant, trouble, ambivalent, pollué, symbole de nos sociétés plus ou moins déliquescentes.
On pourra presque en respirer l'odeur de l'humus en décomposition.
Emmanuelle Lafon endosse le rôle du bois, en tenue de camouflage constitué de feuilles, de détritus et de petits animaux.
Elle arpente la scène, lentement. Elle est une sorte d'être végétal qui parle, qui raconte, qui dit et fait constater les événements.
Emilie Incerti Formentini sera la mère, trop portée sur les galettes au beurre, les chips et les cacahuètes.
Son interprétation est réjouissante. La voir se vautrer sur le sol, minauder, se coller au loup est jubilatoire.
Ce loup, c'est Seb Martel, comédien-musicien-performer de son état.
En sweat-shirt tout poilu, il est assez inquiétant, plaquant des accords sombres sur sa petite Gibson. (Il s'en servira également de hache et de... Je vous laisse découvrir...)
Raoul Fernandez est quant à lui un chasseur beauf à souhait, en chemise à carreaux et en treillis kaki comme il se doit.
Il dévient très inquiétant et très méchant, à la toute fin de sa pièce. Un rôle exigeant.
Mais celle qui illumine le plateau, c'est Séphora Pondi, la Petite sublime, vêtue de rouge jusqu'au rajouts capillaires (et non pas blonds-vénitien, s'il vous plaît!)
La toute jeune comédienne incarne avec une grande fraîcheur, une réelle ingénuité mêlée d'innocence mais en même temps de farouche détermination, cette ado qui veut exister par elle-même et se détacher de sa mère pour le moins encombrante.
Melle Ponti est drôle, enjouée, mais également très émouvante, dans les scènes finales.
Elle a été pour moi une vraie découverte. Je ne l'avais jamais vue jouer. Je lui prédis une bien belle carrière.
A noter que le personnage de la rumeur publique est interprété par cinq comédiens dont la prestation a été au préalable enregistrée puis diffusée chaque soir sur grand écran.
Tout comme les extraits du film « La nuit du chasseur », de Charles Laughton.
Le point commun des deux œuvres étant qu'il faut aller plus loin que le conte initial, même avec les images oniriques associées.
Claudine Galea et Benoît Bradel nous proposent donc belle une manière de réinventer le monde, en restaurant ses véritables attributs, à travers la re-lecture du conte de Perrault.
S'il ne relève pas du « féminisme », l'auteure n'aime pas les mots en « isme », cet objet théâtral nous donne à réfléchir sur la domination exercée par la gent masculine dans nos sociétés.
C'est à cet égard une belle réussite.
Allez vous promener dans ce bois, pendant que le loup y est !