4 mars 2023
10/10
3
Un conte contemporain extraordinaire adapté par Amélie Nothomb puis mis en scène par Frédérique Lazarini. Que de talents !

Voilà un spectacle éblouissant, un conte rock qui marie des codes et des niveaux de jeux différents. On est parfois chez David Lynch ou Tim Burton , parfois dans les romans d' Edgar Poe. Avec des clins d'oeil irrésistibles à la culture Pop !

Et comme on entend bien le texte d' Amélie Nothomb! C'est décalé et gothique, c'est exceptionnellement inventif .

Brillamment maîtrisé et réalisé ! Bravo
3 mars 2023
9,5/10
1
Dès le début de la pièce, l’émotion est palpable. Lisa Martino est touchante et juste. Elle se tient droite, face à nous, vibrante, remplie de dignité, de fierté et de fragilité contenues.

Que vaut le « non » pour une femme qui avait dit « oui » ? La justice est-elle capable aujourd’hui de répondre aux attentes d’une victime de viol ? Et si la réponse est non, peut-on accepter qu’elle se fasse justice elle-même ?

C’est un procès aux assises, son procès à elle, cette femme qui est passée de victime à bourreau, cette femme qui est jugée pour des actes qu’elle reconnait avoir commis. Femme détruite qui n’a pas eu confiance dans la justice française, et qui se confie sans fard sur toute la vérité de ses actes. Elle ne cherche ni à se justifier ni à inspirer de la pitié. Elle est factuelle tant dans la description de ce qui l’a définie comme victime que dans la froide violence qui l’a conduite sur le banc des accusés.

La pièce alterne entre le secret du délibéré et l’accusée qui attend le verdict. Rapport déjà non équilibré : neuf personnes, trois magistrats et six jurés populaires, contre une seule. Pendant qu’ils discutent, échangent et se disputent, elle patiente plus ou moins sereinement et nous raconte sa version, ce qu’elle pense et ce qu’elle ressent par rapport à ce qu’elle a vécu.

La pièce est très intéressante, souvent bouleversante et même parfois drôle malgré le thème sérieux abordé, car les jurys sont maladroits et l’accusé n’a pas sa langue dans sa poche. L’ambiance est orageuse pour ce sujet de délibération complexe et délicat.

L’écriture est fine et intelligente, la mise en scène simple et efficace.

On en apprend un peu plus sur ce qui se passe derrière les portes closes d’une salle de délibéré : termes et subtilités juridiques, obligations et devoirs des jurés, serment de confidentialité et tout le décorum qui entoure cette action civique obligatoire qui fascine autant qu’elle fait peur. Tous les rouages et spécificités de la loi sont abordés de manière intelligente. La pièce est pédagogique sans être ennuyante, didactique sans être pompeuse.

Le thème, au cœur du mouvement « me too », est brulant d’actualité. On y retrouve les problématiques du consentement, du viol, de la non-reconnaissance des victimes de violences sexuelles et de l’absence fréquente de punition pour ceux qui les commettent.

Et puis cette grande question autour du jugement. Comme dans 12 hommes en colère, on compte les voix dans sa tête pour anticiper le résultat. Qui va voter « oui », qui va voter « non » à la question « cette femme est-elle coupable ? ». Il est intéressant de se rendre compte des influences personnelles et/ou social de cette prise de décision. L’un des assesseurs critique l’influence des réseaux sociaux qui viennent brouiller les décisions juridiques. « L’émotion et la justice ne font pas bon ménage ». Une intime conviction ne doit pas se réduire à une conviction intime. Pourtant est-il possible de juger sans émotion ? L’importance des circonstances est primordial, c’est le principe de l’individualisation des peines. L’acte et la personne ne sont pas séparables. La pluralité des juges (magistrat et jurés) permet en théorie un contrôle des subjectivités. L’addition des différentes impressions et des réflexions et les échanges multiples doivent amener ces personnes à établir une conclusion mesurée et responsable. Mais bien sûr, ils sont eux même dotés de leur histoire personnelle, de leurs idéologies, de leurs pulsions, de leurs affects et de la pression sociale.

Quand le théâtre se fait manifeste politique cela donne une pièce passionnante, utile et subtile qui vient nous confronter et nous bousculer. On peut être satisfait ou déçu du verdict qui tombe dans les dernières minutes de la pièce mais dans tous les cas on se rend compte qu’une telle décision n’est pas si évidente et si facile à prendre.

“Sous le nom de crimes ou de délits, on juge bien toujours des objets juridiques définis par le code, mais on juge en même temps des passions, des instincts, des anomalies, des infirmités, des inadaptations […] qui sont aussi des pulsions, des désirs ; les juges […] se sont donc mis à juger autre chose que des crimes : l’âme des criminels”, écrit Michel Foucault dans Surveiller et punir
2 mars 2023
9,5/10
1
Et si un parti politique pouvait manipuler les masses jusqu’à l’accession au pouvoir ? Sommes-nous si éloigné que ça de cette fiction sombre ? La pièce parle de politique, de journalisme, de manipulation des masses, des aspects sécuritaires, du recueil des données personnelles, de lanceurs d’alerte, de démocratie et puis aussi un peu d’amour.

On assiste en 1h40 à un spectacle impactant au suspens qui nous tient en haleine du début à la fin. Au début on se sent un peu perdu, on ne comprend pas grand-chose mais tout s’éclaire au fur et à mesure de la pièce et à la fin tout prend sens.

La mise en scène très cinématographique (on se croirait dans une série Netflix) est créative et dynamique. Tout est chorégraphié et millimétré. La scénographie est à la fois moderne, simple et efficace, quatre écrans nous transposent dans les différents lieux où se situe l’action et quelques éléments de décors escamotables précisent le reste.

Les dialogues sont ciselés et percutants et l’histoire est particulièrement bien ficelée et haletante. On suit les personnages à la fois dans leur enquête journalistique et dans leur vie privée. Dans un rythme trépidant, les scènes s’enchainent sans aucun temps mort. On remonte parfois le temps afin de mieux comprendre le présent, il faut s’accrocher pour suivre l’histoire, pas le temps de se reposer, tout fuse et ça carbure à cent à l’heure.

Les comédiens n’économisent d’ailleurs pas leur énergie, ils sont présents, connectés et impliqués. Leur interprétation intense et juste nous plonge complétement dans l’intrigue. La plupart des comédiens jouent plusieurs personnages, comme c’est souvent le cas au théâtre, mais pour une fois je me laisse prendre au jeu et je finis par me demander combien ils sont réellement, tellement certaines transformations sont réussies.

Présentant une dystopie pas si éloignée de la réalité, la pièce et pleine de sens et de contenu. C’est à la fois très drôle et terriblement sérieux. Le texte rempli de bons mots et de répliques qui font mouche est en effet également profond et grave et nous pousse à réfléchir sur les dérives de notre époque.

Une pièce engagée, utile et captivante. Une vraie réussite !
2 mars 2023
8/10
2
Avis de Tempête sur la Huchette

"La Tempête", c'est cinq actes et une vingtaine de personnages, tous plus étranges et improbables les uns que les autres. "La Tempête", c'est une île déserte, peuplée de sorcières, d'elfes, de monstres et de magie. "La Tempête", c'est un navire pris dans la houle qui se brise sur les côtes, et échoue dans le royaume auto-proclamé de Prospero, mi-homme, mi-mage, et qui a fait sombrer l'équipage grâce à l'intervention de son esprit Ariel. "La Tempête", c'est l'une des dernières pièces de Shakespeare, et la quintessence de son esprit baroque.
Et "La Tempête" vu par le metteur en scène Emmanuel Besnault, c'est un peu tout ça, mais à trois comédien.ne.s et six personnages, dans l'étroite (mais si plaisante) salle du théâtre de la Huchette, avec des costumes et un décor simples mais bourrés d'ingéniosité. Un drap, quelques planches et des lumières bien placées : voilà notre île qui se dresse sur cette petite scène, sur laquelle évoluent des acteurs pleins de talent, qui n'hésitent pas à mouiller la chemise pour endosser chacun de leurs rôles, et opérant des changements de costumes dignes des transformistes. Le passage d'un personnage à un autre est si réussi que l'on doute parfois de la présence d'une seule et même personne derrière deux masques différents.
N'imaginez pas que la réduction du texte et des protagonistes fait perdre sa saveur à l'histoire, au contraire, celle-ci est ramenée à l'essentiel et ce qui est souvent nébuleux chez le dramaturge anglais devient bien plus évident, tout en conservant l'atmosphère merveilleuse et les principaux enjeux de la pièce. On retrouve la patte d'Emmanuel Besnault tant appréciée dans "Fantasio" l'an dernier, qui sait parfaitement utiliser l'espace et colore tout d'un aspect de conte de fées, notamment ici avec l'utilisation de la musique qui donne un côté "Disney" (mais Disney shakespearien tout de même) au spectacle. Cela est très appréciable (surtout que la jeune comédienne, Marion Préïté, chante merveilleusement bien), peut-être est-ce un peu too much à la fin (il faut aimer l'idée d'un texte théâtral chanté) mais les défauts sont vite effacés par la qualité du jeu et les très bonnes idées de mise en scène.
Je finirai d'ailleurs sur une de ces trouvailles malicieuses, dont l'auteur baroque aurait pu être fier : si nous n'avons pas assez de comédiens pour jouer tout le monde, laissons le public faire partie de l'histoire et devenir lui-même un habitant de cette grotte isolée. Comment ? Plongez au cœur de la Tempête pour le savoir...
28 févr. 2023
9/10
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L’Aigle à deux têtes donnée dans une mise en scène japonisante de Paul Goulhot nous persuade de l’intemporalité de cette belle pièce de Jean Cocteau, que nous avons par curiosité lue avant d’aller voir le spectacle, et que nous avons ensuite eu l’énorme plaisir de voir jouée sur la scène du Studio Hébertot.
Cette lecture nous a sans doute permis de goûter avec une délicieuse frayeur l’émouvante ironie tragique qui se dégage de l’histoire d’un amour impossible, mais elle n’est absolument pas nécessaire pour rêver avec Paul Goulhot et ses comédiens à cet amour féerique réécrit à l’encre de Chine.