13 mars 2023
10/10
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Un échiquier peut-être ou juste un plateau de jeu ?

Au centre du jeu ,il y a Hamm, littéralement centre géométrique d'un monde symbolique , aveugle tyrannique à l'image d'un monde presque sous terre qui semble fini au dehors ou est-ce un miroir des âmes des personnages. Des fenêtres il y en a deux mais ce quelles donnent à voir (en haut d'une échelle qu'il faut apporter et à la lunette de vue) semble une sorte de trajectoire hors champs d'un décor, en tous les cas on ne sent pas le monde au bord du jeu , à peine sa nostalgie, une fatalité.

Alors le jeu se déroule , Hamm sort de son étui/suaire, et redevient en ce réveil le même vampire que la veille, qui décharnerait ce réel là en y disséquant quelques principes : siffler pour assigner, asservir, vérifier, garder le contact sans toucher vraiment, effleurer selon les règles d'une fin de partie de mort lente.

Clov suit sa propre mécanique, il est debout mais ne peut s'assoir, même pas fléchir les genoux, sa raison d'être est une sorte d'esclavage ou plutôt la réponse à un ordre qui le fait exister à travers cette réponse là.

Réussira t'il son départ qui sera juste un contrordre , un versus à la règle, un jour pour libérer il faut que tout se dérègle.

Mise en scène très cadrée (les didascalies sont bien là), des acteurs magnifiques.

Après cette séance de 17H ( la quarante deuxième représentation ) les acteurs et le metteur en scène sont venus discuter avec la salle, moment étonnamment riche....merci !
12 mars 2023
10/10
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Puissant, Sensuel, Explosif, Magnifique.

Rodrigo Portella met en scène pour notre plus grand plaisir « Tom Na Fazenda » une pièce bouleversante, puissante, sensuelle et violente de Marc Bouchard dramaturge canadien.
Tom à la ferme a été adapté au cinéma en 2013 par Xavier Dolan.

« En 2023, la compagnie a célébré les six ans de la première représentation de Tom na Fazenda à Rio de Janeiro, avec plus de 250 performances, 25 prix et plus de 45 000 spectateurs. C’est un geste politique au Brésil, où le nombre de meurtres homophobes atteint un nombre record, Tom à la ferme a acquis une résonance terrible »

Après la mort de son amant, Tom citadin, s’invite dans la famille de son compagnon qui vit au fin fond de la campagne dans une laiterie perdue au milieu des pâturages, un monde rural dur et laborieux qu’il ne connait point et qui le surprend.
Il découvre étonné que l’homosexualité de son amant à toujours était caché par Francis viril et hostile, le frère de celui-ci . La mère 'Agata' ne doit point connaitre la vérité.
Dans cette campagne profonde, Tom vient déstabiliser l’ordre moral, Francis va utiliser la violence, la séduction, la torture pour protéger ce monde patriarcal.

Dès lors, l’homophobie, le mensonge, la haine, la domination vont faire surface, l’étau se resserre autour de Tom, un déchainement d’agressivité surgit, les corps se bousculent, se cognent, s’agrippent, se séparent, se noient dans la terre boueuse de cette contrée éloignée.

C’est d’une émouvante sensualité et d’une grande beauté.

La mise en scène de Rodrigo Portella insuffle une forte puissance aux mots qui viennent nous transpercer le cœur. Les scénettes s'enchainent avec élégance et sont magnifiquement orchestrées.
La scénographie de Aurora dos Campos, est d'une belle esthétique, nous sommes transportés par magie dans cette ferme perdue au bout du monde.
Les lumières de Tomas Ribas magnifient les corps qui s’entrelacent, se rejoignent, s’éloignent et accentuent les émotions.

Armando Babaioff ‘Tom’ et Gustavo Rodriguez ‘Francis’ sont époustouflants, ils nous subjuguent, nous bouleversent dans un combat corps à corps empreint de violence et d’amour. C’est d’une extrême puissance, les corps vibrent, les mots nous transpercent et nous chavirent, l’émotion est intense.

Soraya Ravenie ‘Agata, la mère’ nous émeut, la perte d’un fils est inconsolable, à travers Tom, elle cherche à retrouver ce fils disparu.

Camila Nhary ‘Hellen’ la fiancée fictive du défunt nous réjouit par la justesse de son jeu.

Un magnifique moment théâtral, poignant et captivant à ne surtout pas manquer.
9 mars 2023
8/10
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J'étais à la 1ere hier soir: Un enchantement.

L'accordéoniste dialogue avec l'acteur.

Une grande sensibilité de dégage, l'errance nous touche. On peut aimer la pièce même si on n'est pas fan de Nougaro.

En sortant, mon ami m'a dit " je pense que je vais réécouter Nougaro".
8 mars 2023
10/10
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« Les gros patinent bien » sur la scène du théâtre Michel Portal dans le cadre de la programmation des Absurdités protéiformes de la Scène nationale du Sud-Aquitain, dans une mise en scène de Pierre Guillois, est une récréation de haute voltige clownesque sous couvert de cartons d’emballage recyclés qui s’envolent dans notre imaginaire.

Pierre Guillois avec sa tête d’ange aux cheveux hirsutes me fait penser à Sammy, le meilleur ami de Scoubidou, un personnage lunaire, et fort de son amitié de longue date avec Olivier Martin-Salvan, ils ont développé une nouvelle forme de théâtre où le texte s’illustre sur un défilé de cartons aux multiples fonctions sous nos yeux remplis de larmes de rires.

Ces deux là sont complètement fous, timbrés, pas une seule seconde ils n’hésitent par le truchement de leurs délires, matérialisés par l’abondance de messages, à nous faire entrer dans leur monde extraordinaire d’inventivité pour suivre le voyage d’un serial killer à la recherche de sa sirène tout en portant une dévotion à sa boisson favorite, sa drogue : le coca cola.

Sur le plateau, rideau ouvert, nous découvrons un lot de cartons de différentes tailles, de différents volumes avec sur l’un d’entre eux, à l’avant scène, inscrit un message curieux : « Début du spectacle dans 64 ans » pour ensuite passer à 65, 67 et même 70 ans. Une inscription modifiée par un échalas à l’œil fripon revêtu d’un boxer noir pour seul vêtement qui laisse présager le pire.

Apparaît ensuite, échappé d’une boîte surprise, assis sur un carton, un homme à l’allure très chic, en costumes trois pièces, baragouinant une espèce d’anglais aux onomatopées savoureuses dont on se demande bien à quel pays elles font référence, tant ce langage est incompréhensible.
Il est là pour nous conter par le menu son voyage depuis un fjord en Islande jusqu’à son arrivée à Pampelune en Espagne, avec un détour dans le pays basque, Bayonne oblige !

Un voyage qui dans un premier temps le conduira à traverser la mer pour arriver en Ecosse, un voyage au cours duquel il aura fait la connaissance d’une sirène qui hantera par la suite ses nuits et ses jours, en la cherchant dans toutes les étapes qui jalonneront son périple au risque de sa vie…et de celles des autres…puisqu’il apparaîtra comme un serial killer sans vergogne dont la tête sera mise à prix.

Un voyage qui déclenche les rires en cascade, dans lequel Pierre Guillois multiplie les pitreries savamment étudiées, un « décodeur mobile » sous-titrant en temps réel le langage d’Olivier Martin-Salvan que l’on nommera « L’homme statique », sans quoi il nous serait impossible de comprendre son épopée.

Comment ne pas rire aux éclats quand le décodeur mobile prend les allures d’une sirène aux yeux de biche, ou encore quand il se prend pour une mouette, une mouche, tout en nous jouant un air de biniou.

Pierre Guillois, dans sa mise en scène au cordeau, a la faculté de se glisser dans tous les personnages, les animaux, quelles que soient leurs tailles, qui peuplent le récit dans une aisance déconcertante. On croit à toutes ses visions : il est ce qu’il interprète sans aucune méchanceté, il vit intensément les paroles de l’homme statique pour nous en restituer la quintessence.
Un travail d’une complexité dont on ne mesure pas l’étendue. Se rappeler un texte, c’est déjà éprouvant, mais se rappeler pendant une heure et demie l’ordre de passage des cartons éparpillés un peu partout sur le plateau est un travail de mémoire gigantesque (même s’il est aidé par de précieuses mains en coulisse) surtout au rythme où il sous-titre le récit de l’homme statique, imperturbable, qui ne s’arrête jamais de parler.
Quand à Olivier Martin-Salvan, le pince-sans-rire incarné, il explose, par sa bonhommie, de justesse dans son interprétation d’un texte sans queue ni tête. Un vrai travail d’orfèvre.

Le rythme étant naturellement soutenu, la fatigue pointant le bout de son nez, ils arrivent encore, dans un enthousiasme débordant de générosité, à augmenter notre capacité à rire en se prenant à partie au détour d’une altercation bien orchestrée dans une interaction avec le public friand de leurs déboires.
Mais rassurez-vous ils arriveront à bon port…sans faute d’orthographe…

C’est dans une ovation débout délirante que l’on a pris congé de ces deux artistes à la virtuosité réjouissante qui ont largement mérité leur Molière du meilleur spectacle public 2022.
7 mars 2023
9/10
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Disons le tout net, j'ai eu par le passé, parfois des difficultés à entrer dans l'univers Beckettien.

Fin de partie que je n'avais jamais vu ni lu, se passe dans un lieu indéterminé, une maison ou une cave (pour atteindre les fenêtres il faut utiliser un escabeau), sur une ile ? dans un environnement extérieur sur lequel on ne sait rien, avec deux personnages Clov qui est boiteux et Hamm aveugle en fauteuil roulant sans connaître les liens qui les unissent, certaines phrases et situations se répètent. Dans des poubelles, les parents de Hamm interviennent ponctuellement. Autant d'éléments qui font qu'on peut être facilement dérouté.

Ici, j'ai très rapidement lâché prise ce que je n'avais pas fait pour les Beckett précédents, j'ai oublié toutes les interrogations qu'on peut avoir, oublié de chercher à comprendre, pour ne plus regarder que les comédiens, les écouter, être captivé par ce que je voyais.

Ce pur plaisir, je le dois à Jacques Osinski, dont la mise en scène au cordeau sert admirablement le texte et les comédiens, et quels comédiens !

La gestuelle, la voix les intonations font de l'immense Denis Lavant un Clov inoubliable.

Quant à Frédéric Leidgens cloué sur sa chaise roulante et caché derrière ses lunettes noires, il est un formidable Hamm.

N'oublions pas Peter Bonke et Claudine Delvaux qui sont excellents.

Un de mes premiers spectacles 2023, qui sera sûrement un des plus marquants, et une vraie découverte de l'oeuvre d'un des grands maîtres du théâtre de l'absurde.