Critiques pour l'événement Le Livre de ma Mère
26 mars 2018
6/10
28
Le journal de ma mère est un texte magnifique que Patrick Timsit rêvait depuis des années d'interpréter. Je m'attendais donc à quelque chose de particulier, dans une mise en scène extrêmement soignée.

Si le comédien déploie une sensibilité hors pair je quitte néanmoins la salle animée par une relative (et rare) colère. Quelle idée de l'avoir équipé d’un micro ? Le pauvre serait-il devenu aphone? Aurait-il peur de n’être pas entendu dans ce théâtre dont l’acoustique est juste parfaite ?

L’appareil, réglé plein pot durant les premières minutes, suggérait la pièce radiophonique. Comme il fut difficile pour les spectateurs à l’audition normale de se projeter dans l’intimité de la confidence !

La béquille ne s'accorde pas avec le parti-pris de mise en scène puisque Dominique Pitoiset lui fait interpréter le rôle d'un acteur qui répète son rôle, texte à la main, auquel il se réfère très souvent (alors que j'aurais parié qu'il le connaissait par coeur). A-t-on déjà vu des comédiens équipés de micro en répétition ?

Il serait Albert Cohen dans son bureau d'écrivain, en Suisse. L'incongruité provient alors de la présence d'un écran de cinéma en fond de scène, lequel n'existe que dans les bureaux des producteurs de cinéma ou chez les grands patrons d'agence de publicité.

On verra pendant un peu plus d'une heure Patrick Timsit arpenter la scène, s'asseoir, se relever, déclencher avec une télécommande la mise en route d'images, comme si nous assistions à une conférence touristique. Encore une fois rien ne nous place sur le terrain de la confidence. La première image annonce Le livre de ma mère ... on n'en doutait pas.

Le récit est autant écrit à la gloire de la mère qu'il est autobiographique. On apprend l'arrivée de Albert Cohen à cinq ans, venant de Corfou avec sa famille. On était des rien-du-tout sociaux.

Le texte est sublime. Nos douleurs sont une ile déserte. Les mots consolent mais ils ne me rendront pas ma mère. La peine du fils est immense. La plainte, elle est morte reviendra en boucle et il égrènera bientôt la litanie des jamais plus. Le public est enthousiaste, applaudit l'arrivée du comédien a tout rompre, et rit sans réserve aux blagues juives. Du type les mariages qui commencent par de l'amour c'est mauvais signe.

Décor et lumières ne méritent pas davantage le compliment. La lecture du dossier de presse m’apprend que le metteur en scène a cumulé les postes. Manque de budget ou volonté de tout contrôler ? L’intelligentsia pourra lui tresser des couronnes parce que c’est Cohen, parce que c’est Timsit, je continuerai à regretter qu’il n’y ait pas eu de direction d’acteur mais juste une mise en place. Je m’en étonne d’autant plus que je sais que le comédien échafaude ce projet depuis une dizaine d’années.

Il y a cependant un superbe instant de théâtre et gloire à celui (ou celle) qui en a eu l’idée: le fils débouchonne la bouteille d’eau, s’accroupit et pose le bouchon de plastique sur le sol qui soudain devient cette tombe dont il vient de nous parler en termes émouvants : ... on a eu la gentille pensée de lui mettre dessus une lourde dalle de marbre, un presse-mort, pour être bien sûr qu'elle ne s'en ira pas.

Encore faut-il connaitre la coutume voulant que pour montrer que quelqu'un est venu se recueillir sur une tombe, on dépose une petite pierre, puisque les fleurs sont interdites dans la religion juive, ce que j'avais appris lors d'un séjour à Berlin.

Cette marque d'honneur est éternelle (à l'inverse des fleurs qui pourrissent rapidement). J'ai donc été extrêmement choquée qu'à la fin de la pièce le comédien ramasse le bouchon et le pose sur le bureau.

La musique est choisie avec soin. On entendra Smile de Nat King Cole sur des images familiales de vacances au bord de la mer filmées en super 8. Ce sera plus tard Mrs Robinson de Simon & Garfunkel (que l'on entend beaucoup au théâtre en ce moment) juste avant d'enchainer sur un sirtaki. On fait un saut dans le temps avec la chanson d'Arno (1995) qui célèbre de sa voix profonde et rauque Dans les yeux de ma mère au travers de paroles parfois crues et de mots peu élégants.

C'est une sorte de contrepoint à l'écriture de Cohen alors que bien entendu les deux textes ne sont pas du tout de la même époque. L'amour d'une mère serait-il universel ? Albert Cohen voyait dans les yeux de sa mère : une folie de tendresse, une divine folie. C’est la maternité. C’est la majesté de l’amour, la loi sublime, un regard de Dieu. Soudain, elle m’apparaît comme la preuve de Dieu.

J'ai mal compris (décidément) l'emploi du Petit train des Rita Mitsouko pour accompagner la fin du spectacle. Certes on voit alors les images d'une locomotive tirant un serpentin de wagons (Odyssey Smoking-petit train sur l'eau de Tang Nannan) mais est-ce parce que la chanson aborde le thème très grave et douloureux de la déportation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale que Dominique Pitoiset l'a choisie ?

Cette chanson écrite en 1988 était dédiée à Sam Ringer, le père de Catherine, qui avait été l’une des victimes. Et je ne pense pas que la mère d'Albert Cohen, décédée à Marseille en janvier 1943, ait été déportée.

Le spectacle s'achève sur le désespoir de l'écrivain : Je suis un poussin sans poule. Il exhorte les garçons à être doux chaque jour avec leur mère.

Son ultime geste est de changer de cravate ... pour en porter une de couleur vive, signe de la fin du deuil ? Ce n'est pas certain puisque la musique de Nat King Cole revient. Mais au cas où on en douterait le comédien saisit la télécommande pour afficher le mot FIN sur l'écran;

Mon conseil : cassez une graine au Bistrot du théâtre (à l’étage) et enchaînez avec Baby. La maternité est au centre des préoccupations de l’Atelier. Après la mère bien réelle d’Albert Cohen c’est la question de la procréation pour autrui qu'Hélène Vincent met brillamment en scène.
16 févr. 2018
7/10
25
Timsit dans ce registre nous émeut.
Il parvient à apporter sa personnalité au spectacle tout en s'effaçant derrière ce texte fort.
Il le façonne à son image mais le laisse aussi vivre.

Les vidéos bien qu'un peu trop présentes sont très belles.
Le décor, la mise en scène apporte le dynamisme qui aurait pu manquer et rendre ça un peu trop figé.
A mon goût un peu trop de répétitions de mots. Je préfère qu'on mette du poids dans la manière de les interpréter plutôt que les appuyer en les répétant.
On aurait aussi aimé plus de passages tendres et drôles. Parfois les moments tristes sont trop longs et frisent l'ennui.
Mais comme le texte est magnifique on reste absorbé.

C'est un beau seul en scène. Une belle communion avec la salle.
6 janv. 2018
4/10
43
Rendez vous manqué.

Quelle joie d'enfin pouvoir découvrir Patrick Timsit sur scène, lui qui a le pouvoir de nous émouvoir et nous faire rire dans un même spectacle et/ou film. Alors quand l'on traite d'un sujet aussi sensible que la perte d'une mère dont on culpabilise de ne pas avoir su l'aimer suffisamment avant son trépas, on s'attend à sortir les mouchoirs. Du moins, le coeur va s'emballer et la mâchoire se serrer.

Dans une mise en scène, si on peut lui donner ce nom, si moderne et absurde, on se sent très vite dans une mascarade de spectacle. Le comédien est sur scène en permanence avec des feuilles et le spectacle ressemble bientôt plus à une lecture qu'à une confidence. Les nombreuses vidéos, du nombre de 5 je crois, durant au total approximativement 10 à 15 minutes, viennent détruire tout germe d'émotion et d'abandon et ridiculise le propos et la portée de la souffrance.

La douleur et la culpabilité du fils indifférent ne sachant comment faire rejaillir les mots et les excuses futiles face à une tombe sont désincarnées et ne nous transportent jamais. Un gâchis immense et au pourtant j'aime Mr Timsit qui réussi à m'émouvoir lors de ses spectacles comiques ou lors de certaines prestations cinématographiques.

C'est un rendez-vous manqué et j'en suis désolé. Mais il semble que la salle, aux vivas des applaudissements, ne partage pas ma profonde déception
27 déc. 2017
7/10
14
Patrick Timsit est un grand comédien, j’en étais déjà convaincue avant de le voir sur scène à l’Atelier avec ce texte d’Albert Cohen. Patrick Timsit est sublime dans ce rôle de fils qui raconte sa mère.

Dans ce texte, que dis-je ? Non, dans cette déclaration d’amour aux mères en général, à sa propre mère en particulier, Albert Cohen se dévoile intimement. Il nous révèle son enfance et son adolescence en compagnie de celle qui a été son ombre, veillant à tous les moments sur lui, l’aimant plus que personne d’autre. Lui, il doit maintenant vivre sans elle.

Patrick Timsit s’empare du texte, pour le faire sien et on pourrait croire qu’il nous parle de sa maman tant il ‘vit’ ce texte. Il utilise la scène, dirigé avec finesse par Dominique Pitoiset, non pas comme il a pu le faire lors de précédents one man show pour appuyer ses effets, mais pour servir le texte et les émotions qui nous assaillent.

Les émotions : on commence par sourire avec l’évocation de clichés, entre autre sur les Suisses, puis on sent la tristesse, le chagrin, les regrets. Et il y a cette phrase lancinante qui ponctue les différentes anecdotes : ‘elle est morte’ comme un couperet.

Il fait des pauses dans cette évocation : Il fait bon de s’asseoir et de regarder l’écran qui occupe le fond de la scène et de replonger dans un souvenir qui sent bon la baignade au bord de la Méditerranée. La nostalgie nous submerge.

Je regrette juste que ce texte verse trop dans le pathos et le mélo, je n’ai pas été sensible à certaines anecdotes de ce fait mais je recommande cette pièce tout de même.
10 oct. 2017
7,5/10
10
À la suite d'une représentation de "Cyrano de Bergerac" dans la brillante mise en scène de Dominique Pitoiset, Patrick Timsit a eu l'intuition de faire appel au metteur en scène afin d'adapter pour la scène le grand texte d'Albert Cohen.

Le pari est tenu et cette adaptation scénique est de très bonne facture. L'émotion monte en intensité tout au long du spectacle et le comédien arrive, la plupart du temps, à maintenir à assez bonne distance ses usages de one-man-show.

La mise en scène et la scénographie de Dominique Pitoiset sont sobres et élégantes. Celles-ci, tout comme le jeu de Patrick Timisit, semblent être au service du texte de Cohen, de la manière la plus humble et respectueuse possible. Ce dégage de cette démarche théâtral, un véritable sentiment de sincérité.